Types psychologiques de C. G. Jung
La séduction qu’exercent certaines idées ne fonctionne qu’à
proportion de la naïveté de leurs victimes. Jung ne me semblait si génial,
lorsque j’étais jeune, que parce que je n’avais encore jamais été confrontée à la
véritable rigueur psychanalytique – celle de Freud et de Lacan.
« Les Types psychologiques » a tout pour
plaire. Par ses catégorisations de la personnalité en un système combinatoire
mêlant quatre termes pouvant s’assembler en quatre configurations, il séduit le
lecteur qui parcourt les descriptions de chaque type en cherchant les traits
par lesquels il pourrait se reconnaître, enthousiasmé à l’idée d’être réduit à
une dénomination ; en espérant découvrir les comportements par lesquels il
se rend peut-être mystérieux aux yeux des autres.
Jung explique tout par la conduite extérieure, par la manière comportementale de réagir aux événements, sous-entendant l’existence d’une éthique de l’agir qu’il n’évoque pourtant jamais. Il est évident que Jung, même s’il ne l’écrit pas clairement, distingue les différentes combinaisons psychologiques selon des critères hiérarchiques qu’il ne précise pas. Et pour cause : comme c’est le cas dans tous ses autres livres, Jung parle d’un lieu qu’il pense être objectif alors qu’il ne s’agit que du lieu de ses propres fantasmes. Jung ne le déclare pas explicitement dans ce livre mais dans d’autres textes, il se qualifie lui-même d’introverti intuitif. Ce n’est pas un hasard si le chapitre le plus consistant de ce livre est consacré à cette catégorie. Il nous permettra de prendre connaissance des fantasmes que Jung nourrissait dans une forme de semi-inconscience à son égard. Ce n’est pas un hasard non plus si Jung, dans le courant de sa rupture avec Freud, caractérisa celui qui était devenu son adversaire, comme il lui aurait lancé une insulte, d’extraverti. Ce n’est pas un hasard non plus si, ayant affirmé de façon péremptoire que l’intuition (qui le caractériserait) est une fonction irrationnelle, il s’efforce dans cet ouvrage de montrer surtout en quoi la fonction rationnelle serait très limitée.
« Les Types psychologiques » est un livre qui
plaît autant que nous pouvons nous attacher aux résultats d’un test de magazine
féminin, parce que nous choisissons de nous identifier à certaines descriptions
qui, parce qu’elles correspondent à des descriptions idéales (qu’elles soient
fastes ou néfastes) sont censées tout expliquer. Jung ne pose que les questions
dont il détient d’avance les réponses. Ce n’est pas un hasard si le test du
MBTI fut conçu sous l’inspiration de ce livre et si, dans ses versions plus systématiques,
il est proposé dans les entreprises tertiaires ou dans le cadre de parcours de
reconversion professionnelle. Les catégorisations psychologiques de Jung ne
servent qu’à boucher des trous par des représentations imaginaires. « Vous
êtes un créatif débrouillard », vous dirons les agents neurasthéniques de France
Travail à l’issue d’un test rempli à moitié au hasard, et pour peu que vous
soyez dans une impasse professionnelle depuis de nombreuses années, pour peu
que vous ayez envie de vous raccrocher à une image plaisante de vous (mais qui
n’aurait pas envie de ça ?), vous vous approprierez cette représentation,
persuadé désormais que votre errance professionnelle n’était causée que par une
ignorance de vous-même et non par l’état du monde du travail lui-même.
Non seulement le comportement à lui seul n’explique rien
mais encore Jung essentialise-t-il les êtres dans un type de comportement qu’accompagneraient
certains traits de caractère. Il se produit parfois, précise-t-il, des métanoïa
qui conduisent un type à se renverser en son opposé. La logique n’est que de
détermination oppositionnelle. Le comportement est appréhendé comme premier,
sans qu’il ne soit précisé à quoi il réfère. Jung aurait pourtant pu savoir que
le comportement, qu’il ne peut lui-même s’empêcher de juger, s’estime de
manière bien variable d’un individu à un autre. Le type sentiment, nous dit-il
par exemple, se manifeste avec peu de relief et prête à malentendu. Il s’exprime
surtout négativement. Il se protège par des jugements affectifs négatifs. Mais
que fait Jung, dans ce cas, sinon proférer lui-même des jugements affectifs
négatifs ? La fonction sentiment ne lui plaît pas tellement. Il en exacerbe
surtout les caractéristiques agaçantes, tandis que nous peinons à trouver des
défauts associés à la fonction intuition.
Si vous devez rester longtemps à la plage cet été et que
vous n’avez pas suffisamment de magazines féminins, ces « Types
psychologiques » feront bien l’affaire. Ne dénions pas notre plaisir à
nous classer, le temps de boire une bière dans laquelle se noient les guêpes,
dans une catégorie littéraire née de l’imagination, des goûts et des dégoûts de
Jung, et à nous imaginer tel que les autres ne pensent même pas à nous voir.
Encore Jung à ce que je vois ! Toutes les classifications me semblent un peu arbitraires (la réalité est toujours plus complexe que cela), mais votre démonstration semble assez convaincante. Et en ce qui concerne le sacrifice, c’est une notion vraiment centrale, malheureusement sous-estimée chez la plupart des penseurs occidentaux.
RépondreSupprimerj'ai suivi votre fléchage... c'est broubrou, c'est yonyon. Comprends rien. Vous vous amusez beaucoup. Je ne savais pas que Jung, Goethe et les autres étaient drôles. Enfin moi, ils ne m'ont jamais fait rire.
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