Céline de Philippe Muray
Aborder Louis-Ferdinand Céline représente un projet de vaste ampleur. Philippe Muray décide de se consacrer essentiellement à la question des Pamphlets – question contournée plus ou moins honnêtement par nombre de « critiques littéraires » qui préfèrent s'emmurer dans des problématiques stylistiques ou platement thématiques pour éviter cette excroissance de l'oeuvre. Philippe Muray appartient au cercle des admirateurs de Céline qui choisit de ne pas ignorer les Pamphlets car, se distinguant en cela de certaines opinions de la pensée automatique, il considère que les Pamphlets ne témoignent pas d'un moment d'errement de Céline vers la pensée politique d'extrême droite mais qu'ils sont au contraire emblématique de la pensée socialiste en tant qu'elle est rêve de déni de la radicale division de l'homme en lui-même et au monde, utopie d'unification de tous dans l'indifférenciation généralisée. Philippe Muray n'occulte pas les Pamphlets d'un air gêné en présentant l'excuse d'une contamination de la pensée de Céline par les idées dans l'air du temps de son époque. Il les attrape au contraire comme un moment logique de son oeuvre, qu'il faudra donc réapprendre à lire.
« Quelle passion nous pousse à vouloir qu'il y ait deux Céline, un Céline impeccable, hygiénique, marionnette lustrée ressortie pour les parades euphoriques de l'avant-garde, et un Céline sordide, contaminé, définitivement enterré dans les cloaques de l'Histoire ? »
Le passage par Voyage au bout de la nuit est incontournable – roman dont tout le monde ne cesse de gloser, évoqué comme ultime roman célinien. Céline lui-même ne s'y trompait pas, qui se sentait fini après ce roman et qui écrivait, en 1933 : « Je ne vois personne. Je ne lis rien. Je ne sais pas. Je ne dis rien non plus. Ma vie est finie Lucie, je ne débute pas, je termine dans la littérature, c'est bien différent. » le Voyage, tout en négativité, a déployé une esthétique de la noirceur qui a fini par ensevelir Céline, par l'y empêtrer comme dans un véritable voyage dans l'opacité de la division fondamentale. le refoulement de la négativité (mort, désir, répétition, rythmes, érotisme, rire) entraîne la surcompensation par le totalitarisme positiviste. Mais il est vrai également que quiconque regarde frontalement cette négativité mais ne parvient pas à l'aimer finira également par vouloir y trouver un remède. Ainsi, Céline contemplant la déchirure de l'homme ne peut s'y résigner. La négativité contemplée, son goût restant amer en bouche, il décide de faire revenir le positif, son positif, la solution ultime. Celle-ci s'exprime dans les Pamphlets.
Dans l'écriture de ses romans, Céline vogue la galère. Il expulse difficilement, il lui faut retrancher dans le lard, réécrire, faire revivre la chose morte. « Il a fallu presque tout refaire de ce damné roman ! Quelle saloperie que le temps passé ! Comme tout flétrit pourrit vite ! ni queue ni tête ! » Mais les Pamphlets se laissent dicter fébrilement, en quelques semaines ils palpitent, sans hésitation, sans artifice. Céline se trouve dans le mirage de la vérité. Il croit avoir trouvé le remède qui pourrait enfin le guérir de sa négativité, refusant de reconnaître que cette négativité, pour négative qu'elle soit et en cela désapprouvée par le consensus, est la sienne, témoigne de sa condition et de celle de l'homme marqué par le péché, et qu'il l'a ouverte par sa littérature. Au lieu de cela, il la projette sur la négativité incarnée peuple, c'est-à-dire sur le judaïsme et les juifs, sur le tue-l'amour de l'utopique idylle collective.
Philippe Muray affirme ainsi que les Pamphlets traduisent le moment où, sur le plan politique, Céline se convertit au socialisme, tyrannie de l'indifférenciation égalitaire imposée de force, moyennant s'il le faut l'exécution de tous les boiteux qui témoignent, par leur clocherie, de l'écart incompressible qui demeure toujours entre soi et autrui quand il s'agit de désir. Les Pamphlets proposent la réalisation de l'harmonie sur terre par l'élimination des empêcheurs de jouir-en-rond.
« La littérature est un savoir sur la nullité du monde. Inversement, à l'intérieur de ce savoir, les pamphlets font semblant de pouvoir en savoir plus et découvrent que ce monde-ci pourrait être modifiable : c'est la promesse de toutes les idéologies littérales dont l'utopie n'est que l'excès décoratif. »
Le malheur de Céline, dans ses Pamphlets est d'avoir cru à la transparence de ses bonnes intentions. Il n'empêche, nous aurions pu sentir venir cette tendance dans ses romans par de multiples indices que Philippe Muray ose souligner : par exemple, son « mauvais goût positiviste, gothique et poétique » qui s'exprimait à travers « l'urbanisme utopique, la femme comme avenir de l'homme, la danseuse comme avenir de l'art, l'école rénovée » … Nous aurions dû nous douter de la tendance de Céline à résister à la négativité, à s'arrimer autour de figures imaginaires centrifugeuses de la jouissance avide à s'échapper.
« Quelle passion nous pousse à vouloir qu'il y ait deux Céline, un Céline impeccable, hygiénique, marionnette lustrée ressortie pour les parades euphoriques de l'avant-garde, et un Céline sordide, contaminé, définitivement enterré dans les cloaques de l'Histoire ? »
Le passage par Voyage au bout de la nuit est incontournable – roman dont tout le monde ne cesse de gloser, évoqué comme ultime roman célinien. Céline lui-même ne s'y trompait pas, qui se sentait fini après ce roman et qui écrivait, en 1933 : « Je ne vois personne. Je ne lis rien. Je ne sais pas. Je ne dis rien non plus. Ma vie est finie Lucie, je ne débute pas, je termine dans la littérature, c'est bien différent. » le Voyage, tout en négativité, a déployé une esthétique de la noirceur qui a fini par ensevelir Céline, par l'y empêtrer comme dans un véritable voyage dans l'opacité de la division fondamentale. le refoulement de la négativité (mort, désir, répétition, rythmes, érotisme, rire) entraîne la surcompensation par le totalitarisme positiviste. Mais il est vrai également que quiconque regarde frontalement cette négativité mais ne parvient pas à l'aimer finira également par vouloir y trouver un remède. Ainsi, Céline contemplant la déchirure de l'homme ne peut s'y résigner. La négativité contemplée, son goût restant amer en bouche, il décide de faire revenir le positif, son positif, la solution ultime. Celle-ci s'exprime dans les Pamphlets.
Dans l'écriture de ses romans, Céline vogue la galère. Il expulse difficilement, il lui faut retrancher dans le lard, réécrire, faire revivre la chose morte. « Il a fallu presque tout refaire de ce damné roman ! Quelle saloperie que le temps passé ! Comme tout flétrit pourrit vite ! ni queue ni tête ! » Mais les Pamphlets se laissent dicter fébrilement, en quelques semaines ils palpitent, sans hésitation, sans artifice. Céline se trouve dans le mirage de la vérité. Il croit avoir trouvé le remède qui pourrait enfin le guérir de sa négativité, refusant de reconnaître que cette négativité, pour négative qu'elle soit et en cela désapprouvée par le consensus, est la sienne, témoigne de sa condition et de celle de l'homme marqué par le péché, et qu'il l'a ouverte par sa littérature. Au lieu de cela, il la projette sur la négativité incarnée peuple, c'est-à-dire sur le judaïsme et les juifs, sur le tue-l'amour de l'utopique idylle collective.
Philippe Muray affirme ainsi que les Pamphlets traduisent le moment où, sur le plan politique, Céline se convertit au socialisme, tyrannie de l'indifférenciation égalitaire imposée de force, moyennant s'il le faut l'exécution de tous les boiteux qui témoignent, par leur clocherie, de l'écart incompressible qui demeure toujours entre soi et autrui quand il s'agit de désir. Les Pamphlets proposent la réalisation de l'harmonie sur terre par l'élimination des empêcheurs de jouir-en-rond.
« La littérature est un savoir sur la nullité du monde. Inversement, à l'intérieur de ce savoir, les pamphlets font semblant de pouvoir en savoir plus et découvrent que ce monde-ci pourrait être modifiable : c'est la promesse de toutes les idéologies littérales dont l'utopie n'est que l'excès décoratif. »
Le malheur de Céline, dans ses Pamphlets est d'avoir cru à la transparence de ses bonnes intentions. Il n'empêche, nous aurions pu sentir venir cette tendance dans ses romans par de multiples indices que Philippe Muray ose souligner : par exemple, son « mauvais goût positiviste, gothique et poétique » qui s'exprimait à travers « l'urbanisme utopique, la femme comme avenir de l'homme, la danseuse comme avenir de l'art, l'école rénovée » … Nous aurions dû nous douter de la tendance de Céline à résister à la négativité, à s'arrimer autour de figures imaginaires centrifugeuses de la jouissance avide à s'échapper.
Idéalisme national-socialiste |
Après les Pamphlets, le ton change à nouveau. Après l'ivresse, la gueule de bois, et la nécessité de décuver. Céline retourne au roman et prépare malgré lui ce que d'autres, critiques, lecteurs, constitueront comme mythe du stylisme. Céline revient comme dessillé de sa décompensation pamphlétique, peut-être embarrassé lui aussi de la constitution de sa propre solution finale. Il convient de redevenir sérieux. Céline est passé à autre chose, il y insiste, il ne parle plus que de cela, de son style, pour éviter de penser à autre chose. « Il faut donc étudier l'invention stylistique de Céline comme conséquence d'une difficulté à inventer dans le sens, resté en langue morte… » le style n'est pas qu'énoncé : il est également énonciation. Les derniers romans de Céline ont l'allure d'un champ de bataille syntaxique. Plutôt que d'étudier ce style en lui-même, artistiquement, diraient certains, Philippe Muray l'approche à la manière psychanalytique, interrogeant ce resserrement de la parole autour de ce qu'elle ne veut pas dire, la lutte qu'elle doit mener pour renoncer à l'idéal positiviste. « Lentement, livre après livre, Céline s'est guéri lui-même par ses livres de sa propre maladie qui consistait à vouloir guérir autrement qu'en disparaissant dans des livres. C'est une tragédie intégralement littéraire. »
Vous revenez à votre auteur fétiche, Philippe Murray. Il s’avère que j’ai les fameux pamphlets de Céline chez moi (héritage familial), mais je ne les ai jamais lus… Il paraît qu’ils sont très bien écrits. Moi je suis plus Gide... La thèse de Murray semble intéressante, pourquoi pas. Céline était loin d’être bête, il y a sans doute plusieurs « couches » à son antisémitisme, et la polysémie, la profondeur sémantique, est le propre des vrais écrivains.
RépondreSupprimerMerci pour votre attention Laconique.
SupprimerJ'ai également les Pamphlets chez moi, que je n'ai toujours pas lus même si la curiosité ne manque pas. La thèse de Muray complète à merveille son "19e siècle à travers les âges", essai remarquable en lequel il souligne les accointances de la "pensée de gauche" et du progressisme totalitaire. Les exemples contextuels dont il se sert trouvent à se décliner avec efficacité à notre époque toujours.