L'École du réel de Clément Rosset


Les philosophes qui ne professent pas les idées que j’aime à entretenir m’exaspèrent. Encouragée par Clément Rosset à m’acheminer plus sévèrement dans l’honnêteté, je le reconnais : je n’aime pas un philosophe en raison de la justesse de ses prétendues démonstrations mais uniquement en vertu de l’adresse dont il aura fait preuve à soutenir, par sa folie, un peu de ma propre folie.


Clémence

Clément Rosset s’en prend essentiellement à une certaine philosophie métaphysico-transcendantale qui, pour se justifier d’exister, en appelle à des concepts abstraits témoignant de l’insatisfaction des philosophes (et des hommes en général) à l’égard de la réalité. Les philosophes des siècles précédents témoignaient encore parfois de quelque difficulté dans la tâche de désolidariser l’invention de ces notions de leur ressentiment envers la vie tandis que, malheureusement, les philosophes de notre temps, s’appuyant sur la pseudo-objectivité scientifique, se rendent plus aveugles sur les motivations qui les enjoignent à défendre tel paradigme plutôt que tel autre. Poussant parfois l’audace jusqu’à considérer que leurs idées sont autonomes, ils ne prennent même plus la peine de leur donner une densité suffisante pour les rendre habiles à contrer l’objection. L’argument de la belle âme suffit : si une idée procure à l’homme des sensations agréables, alors elle doit être vraie. Une certaine lignée de la philosophie se résumerait donc à la valorisation de ses préférences personnelles.

 

Une autre philosophie est cependant possible. Il s’agit de la philosophie que nous appelons matérialiste, avec toutes les connotations dénigrantes qui peuvent être associées à ce terme à notre époque qui, pourtant, de son matérialisme des intérêts, ne veut rien voir. Parménide est le chantre historique de cette philosophie matérialiste. Clément Rosset considère pour sa part le matérialisme historique comme la possibilité d’atteindre une sorte de repos intellectuel par le contentement suscité par l’état de quiétude. Ainsi que Freud indiquait, par la pulsion de mort, que la vie n’est qu’une longue et pénible trajectoire jusqu’au retour à l’inanimé – que le principe de plaisir ne vise rien d’autre que l’anéantissement des tensions provoquées par l’oscillation entre manque et assouvissement – le matérialisme philosophique rappelle à l’homme qu’il ne croit désirer autre chose que le néant qui l’entoure la presque totalité de son temps qu’en vertu d’un idéalisme colporté par les mots bien davantage que par la réalité des expériences. La seule sagesse philosophique qui vaille serait ainsi – quoi ? sinon la mise sous silence du petit homme assoiffé de reconnaissance qui pense que la réalité ne lui apporte pas assez et qui reporte sa pleine satisfaction aux calendes grecques métaphysiques. Le matérialisme philosophique, ce serait : savoir être un animal qui se repose et qui jouit de se reposer sans penser au temps qui passe, à la gloire qu’il manque, aux tâches qu’il n’accomplit pas, à l’image de soi qu’il ne construit pas, au surplus de plaisir qu’il rate, à la rage de souffrance qu’il évite malencontreusement.


Trêve des confiseurs


 Alors que dans l’affrontement du matérialisme et de l’idéalisme, ce dernier remporte souvent les suffrages – car l’homme encourageant l’idéalisme pense peut-être passer, aux yeux des autres et par un étrange phénomène de contamination, pour l’idéal lui-même – nous ne remarquons pas que l’idéalisme est le principe dynamique revendiqué par tous les totalitarismes partiels de la pensée, en politique, dans les sciences ou en amour. L’idéalisme, dans sa recherche de la coïncidence entre réalité et idéal, ne veut pas reconnaître qu’il ne peut qu’éviter cette rencontre car il en mourait et deviendrait alors matérialisme.

 

Par pitié, demande Clément Rosset, pour lui-même comme pour nous autres : redevenons simplets. Nous nous amuserons certes moins, mais nous nous reposerons davantage.


Commentaires

  1. La photo des deux chamanes amatrices sur le dernier article était plus sympa que la trogne ébahie de Clément Rosset !

    Merci pour cet article sur Clément Rosset, un pur philosophe, qui ne s’est jamais aventuré dans la politique ou les polémiques télévisuelles. Son décès brutal m’a fait de la peine il y a trois ans (d’ailleurs j’ai vainement cherché la cause sur internet ; se serait-il suicidé ?). Je ne partage pas sa critique décapante de l’idéalisme philosophique (l’homme peut-il vivre sans son ombre ?), mais force est de reconnaître que la dénonciation des motifs psychologiques inavoués de l’idéalisme chez ceux qui le professent (dans la lignée de Nietzsche que R. admirait) est très amusante.

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    1. Comme vous cher Laconique, je ne peux rejeter aussi radicalement l'idéalisme que ne le fait Clément Rosset car je porte ce pli depuis trop longtemps déjà. A moins que je ne sois finalement si peu idéaliste que même la suprématie intellectuelle qu'il accorde au matérialisme ne me semble elle-même de bien peu de valeur.

      Sa mort reste mystérieuse puisque la seule déclaration faite au public annonce que Clément Rosset a été retrouvé mort dans son appartement.

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  2. Une approche du Réel très intéressante chez Rosset. "Le réel et son double" m'a interpellée et mise au travail. Votre lecture fine me repenche sur le seul philosophe qui m'ait captivée. Merci

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    1. Merci Valérie pour ce retour ! Le réel et son double permet en effet d'introduire ou de prolonger cette lecture avec agrément. Soyons donc un peu guépards au repos.

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