Anéantir de Michel Houellebecq


Il faudrait sans doute savoir arrêter d’écrire lorsque la vie finit par perdre de son mystère, soit qu’elle finisse par être devenue agréable, soit que ses déceptions ne surprennent plus. L’écriture est l’exutoire de ceux qui ne sont pas entendus, soit qu’ils ne savent pas parler, soit qu’ils n’aient pas trouvé de bons interlocuteurs. Il est plus difficile de conserver le feu sacré que de ne pas finir par s’acclimater à la vie, mais lorsque la vie commence à devenir un lieu où se reposer, il faudrait arrêter d’écrire des romans et commencer peut-être à écrire autre chose, si vraiment l’occupation de l’écriture est indispensable. Il est en effet parfois nécessaire de continuer d’écrire, même si on n’a plus rien à dire, par seul souci de continuité identitaire, mais aussi parce qu’il peut être inquiétant pour certains, qui confondent écriture et sagesse, de découvrir que l’approfondissement de l’inscription d’un être dans la vie va vers le retrait d’un nombre croissant de pensées.

 

Michel Houellebecq est certainement devenu plus heureux et, comme la plupart d’entre nous, il découvre que l’inspiration et la paix de l’âme sont incompatibles (ce ne sont que des suppositions). Mais que peut faire un écrivain de renommée sinon écrire ? Alors Michel se force. Les intrigues ne m’intéressent généralement pas et il est difficile de ne pas remarquer que Michel Houellebecq semble partager le même agacement pour cette formalité littéraire. Au cours de ce roman, il essaiera de lancer diverses aventurettes pour nous divertir : tantôt des piratages informatiques, tantôt un enlèvement de vieux en maison de retraite, tantôt une élection présidentielle ; puis, ne parvenant à conduire ces intrigues nulle part, ne s’y attachant même pas, puisqu’elles ne seront ensuite plus inclues dans une quelconque forme de conclusion, Michel Houellebecq invoque la maladie d’un personnage pour refermer son roman sur lui-même.

 



Parlons cul puisque c’est à travers ce thème que Houellebecq s’est distingué de ses concurrents en matière de romans et parce qu’il en souligne généralement les enjeux les plus contradictoires dans un manque de complaisance qui ne peut qu’offenser nos pires ennemis : les idéalistes. Cette fois, Michel Houellebecq aborde le sujet d’une manière originale à travers l’histoire d’un couple qui, faisant chambre à part depuis des années, parvient à se retrouver du jour au lendemain pour repartir dans d’incroyables baises quotidiennes, la transition d’un extrême à l’autre n’amenant que très peu d’interrogations et encore moins de sensations si ce ne sont celles, relativement managériales, concernant la meilleure position pour prendre une (sa) femme. Pourquoi pas. Houellebecq ne nous avait pas habitué à du cul progressif mais il reste cohérent dans le ton. Il n’est pas un romantique et l’art mécanique de la baise dont font preuve ses personnages, robots bien huilés à partir du moment où l’interrupteur a été enclenché, confirme que Michel Houellebecq est le grand sage que nous aimerions tous être : celui qui s’est débarrassé de ses émotions inutiles. Il est très difficile de parler de ce qui ne pose pas de difficultés, et Michel Houellebecq lui-même, tout bon écrivain qu’il puisse être, peine à nous intéresser aux histoires copulatoires de ce roman, au-delà d’un vague intérêt voyeuriste.

 


Le bonheur fait également rarement bon ménage avec l’humour. Michel Houellebecq a peut-être connu une petite période de dépression en commençant son roman. Ce phénomène survient en effet souvent lorsqu’on se plonge à nouveau dans la galère d’écrire ; l’écrivain, ou supposé tel, se demande alors pourquoi il s’inflige une telle torture alors qu’il pourrait simplement lire tous ces autres livres que d’autres ont écrit, et qui racontent certainement peu ou prou la même chose. Ainsi, le début d’anéantir est plutôt bon. Michel a la pêche, ses descriptions sont vives, les situations sont encore parfois cocasses. Les 100 premières pages sont convaincantes puis, elles le sont de moins en moins.

 

Toutes ces petites déceptions ne sont pas très importantes. Je constate que Michel Houellebecq n’est pas un écrivain businessman. Il a essayé de produire un roman qui serait semblable à ses précédents mais il n’a pas réussi à le faire. On dirait que toutes ces histoires commencent à l’ennuyer. Moi, en tout cas, je me suis ennuyée. C’est comme ça quand on avance dans la vie. L’ennui est le paroxysme du bonheur, mais comment enthousiasmer les foules avec ça ?


Commentaires

  1. Merci pour cet article. Vous variez vos centres d’intérêt et passez à la littérature contemporaine. C’est très drôle en tout cas, très fluide. Sur Houellebecq tout a été dit. Je ne sais pas s’il est heureux, à mon avis il est surtout pas stressé, il se fout un peu de tout, il est blasé. J’insisterais pour ma part sur la vacuité intellectuelle : avant il y avait des théories dans ses romans, des théories philosophiques et sociologiques, et là de moins en moins. Du coup j’ai pas accroché, j’ai même détesté.

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    1. Je ne crois pas qu'il n'y ait pas de théories dans ce roman, mais elles sont tellement simplistes et rabâchées qu'il faut écarquiller les yeux pour les apercevoir comme telles. Des discussions de comptoir starbuck en quelque sorte.

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  2. Pas encore lu (mais je le lirai : il y a forcément quelque chose à retirer d'un Houellebecq, qui reste un des grands écrivains hexagonaux de ces dernières décennies).
    Brillante approche, assez inédite, rondement menée. C'est par ce billet que je découvre ce site (bah oui !) et le ton est tellement original qu'il aurait sa place en édito dans les meilleurs canards. Le temps passé de Colimasson n'est pas perdu pour tout le monde !

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    1. Merci Ahasverus. Au plaisir donc de découvrir sans doute prochainement tes impressions de lecture de ce dernier livre. Et j'apprends qu'il me reste encore le recueil Lanzarote à lire. Voilà qui me sauvera de l'anéantissement.

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  4. J'ai découvert ta prose sur Babelio avec ta très bonne analyse de "Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort" de Freud. Du coup je papillonne sur ton blog pour me cultiver un peu plus. En revanche je suis incomplètement en phase avec ton ressenti de ce Anéantir. C'est pour moi un très bon bouquin de MH. Toutefois je viens de lire après ses déboires sexe et arnaque au petit vieux "Quelques mois dans ma vie" et je l'ai vu à la télé (chez Yann Barthès). Alors là oui j'ai été abasourdi c'était n'importe quoi ! Pitoyable il était pitoyable j'ai eu du mal à croire que ce type qui bafouillait à moitié et se perdait dans des intrigues sexuelles sordides et moisies puisse écrire des bouquins...qu'on aime ! EVIV ARGAIV !

    Je te laisse avec mon ressenti du Anéantir car j'ai la flemme de m'étendre ici :
    https://www.senscritique.com/livre/aneantir/critique/262255798

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    1. Merci Triste (ou Sombre?) Lune pour ce retour et ce croisement des lectures. J'ai à mon tour lu ton courrier à MH pour cet anéantir sans majuscule et je comprends que tu l'as surtout apprécié pour sa critique du technicisme des EHPAD dans un grand système techniciste plus global de gestion de la vie et de la mort des hommes, ainsi qu'en témoigne par ailleurs ta très intéressante liste néo-luddisme, anti technologie, etc. Ces sujets me sont également chers et si tu ne les connais pas encore (mais cela m'étonnerait) je te conseille de consulter le site PMO Pièces et main d'oeuvre. https://www.piecesetmaindoeuvre.com/
      Dans ton courrier, tu t'interrogeais également sur l'intérêt que MH semble éprouver pour la question de la réincarnation. Je ne sais pas si tu as vu le film Thalasso dans lequel il joue notamment avec Gérard Depardieu : ici aussi, un long moment du film est consacré à une sorte de séance de spiritisme qui ne fait étonnamment pas l'objet d'une forme de dérision mais qui devient au contraire propice à la libération d'émotions qu'il convient sans doute, le reste du temps, de contenir (efficience intégrée).
      Avec plaisir pour poursuivre la conversation sur Babelio à l'occasion.

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  5. Feu Ph. Sollers se demandait pourquoi Houellebecq plaisait tant aux femmes ? Vous venez de donner l'explication : parce qu'il fait du porno sentimental, tandis que les hommes préfèrent le porno-porno. Redémarrer un vieux couple qui ne fonctionne plus, c'est purement... mécanique (gros succès de H. en Allemagne aussi).
    Seriez-vous d'accord (avec moi) pour dire que Houellebecq est un auteur totalitaire ? (= satisfaisant le besoin en porno soft de la citoyenne lambda).

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    1. Je n'associe pas vraiment Houellebecq au sentimentalisme, sauf à celui des rayonnages de supermarché. Je n'avais pas non plus envisagé que le totalitarisme se définissait précisément par l'assouvissement du besoin de porno soft de la citoyenne lambda. Vous vouliez peut-être parler plus généralement de la gestion cybernétique du flux et du reflux des besoins de décharge comme branche de l'entreprise tyrannique ?

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  6. En effet les rayons des supermarchés reposent sur les sentiments. Houellebecq est l'écrivain de l'ère où les supermarchés ont siphonné la clientèle des églises paroissiales. Est-ce que H. n'est pas complètement kitsch, un peu comme Jeff Koons ?
    (C'est la culture totalitaire, pas le totalitarisme lui-même que Huxley (et Orwell) situent au niveau du porno soft - par opposition au porno sadien, réservé aux élites totalitaires).

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    1. Je me disais que H. est un peu kitsch comme Kundera, mais je me trompe peut-être. Je l'aimais mieux lorsqu'il n'était qu'un vaincu. H. est le représentant kitch de la jetset mélancolique.

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