Les Fourmis (1991) de Bernard Werber
Il paraît que j’écris comme une notaire. Malheureusement, je n’ai jamais réussi à dépasser l’échelon professionnel de la mise en rayon chez Carrefour. Qu’à cela ne tienne, je ne changerai rien à mes habitudes de causerie –peut-être un jour finirais-je par être récompensée par un salaire décent.
« Les fourmis ». N’en déplaise à ceux que
rassure la catégorisation formelle de l’humanité en cases aux frontières
immuables, une notaire peut s’intéresser aux projets scientifico-littéraires.
Pour compléter mon C.V., si par hasard un chercheur de têtes venait à passer
par là, je dois ajouter que je suis issue d’une formation scientifique avec
option mathématiques –tout m’intéresse donc, et surtout n’importe quoi. Mais je
n’en étais pas encore là lorsque j’ai choisi de lire ce livre en classe de 5e
alors que la prof de français, désespérant de nous faire ouvrir un livre dans
l’année (à cette époque, je ne lisais plus que des « Sciences et vie
junior »), avait eu la brillante idée de nous amener au CDI du collège.
« Les fourmis » fut le livre qui me réconcilia avec les bouquins
pendant cette période cruciale de l’adolescence que Stephen King appelle le
« point mort » : « Pour la plupart des apprentis lecteurs, il y
a un dangereux « point mort » entre treize et dix-sept ans. C'est le moment où
presque tous abandonnent les livres de leur enfance, mais où ils n'ont pas encore
ouvert ceux de l'âge adulte » (ceci dit, j’avais déjà ouvert des bouquins
pour adultes avant ça et je découvrais, assez fascinée, que Stephen King -puisque
nous parlons de lui- adorait assigner aux épouses modèles de ses romans la
fonction de branleuse de luxe dans un bain moussant, usant du gant de toilette
humide comme de la serpillère qu’elle tord avec rage le reste de la journée en
attendant le retour de Monsieur).
Depuis, j’ai eu le temps de rencontrer de bien meilleurs
livres et d’oublier ces enfantillages. Toutefois, pas plus tard que la semaine
dernière, j’eus le loisir de repenser à ces fameuses « Fourmis »
rusées et gaillardes. Samedi soir dans un bar genre PMU pour jeunes, la bière
coule à flots mais le flipper dédaigné fait pâle figure face aux smartphones et
autres tripotages de derrière les comptoirs. En compagnie de mon amoureux,
après s’être bien rincés le gosier mais n’ayant rien avalé de plus, dans la
journée, que deux maigres apéritifs de cacahuètes salées, nous décidons de
commander un plat de frites maisons à 3,5€. La crise, que voulez-vous. Encore
que les joueurs d’accordéon, toujours dans la ligne B du métro à midi, ne
doivent pas gagner davantage après une journée à faire la manche.
Beaucoup de bruit dans ce PMU pour jeunes. Un miracle que
nous ayons réussi à nous trouver une table, plus encore que personne ne nous
enjoigne de nous placer correctement car, pour avoir le loisir de nous palper gentiment
l’entre-jambe pendant les périodes de rêvasserie, nous avons bloqué le passage
principal avec nos tabourets branlants. Reste que la conversation ne put être
menée durablement dans ce tumulte ambiant. Mâchant distraitement une frite
carbonisée (ce sont celles que je préfère, elles n’ont le goût de rien),
échangeant ensuite un baiser avec mon amoureux, je repense subitement aux
petites fourmis mignonnes de Bernard Werber. J’ai ainsi le don de faire des
associations d’idées regrettables pour quiconque souhaiterait, m’ayant choisie
comme partenaire amoureuse, exalter le penchant le plus romantique (et le plus
bovarien) de sa personnalité. Ainsi, lorsque je coïte, ai-je souvent coutume de
songer au mode de reproduction si économique des premières bactéries qui
peuplèrent notre planète bien avant que nous inventions le condome. La
trophallaxie me revint en mémoire alors que, déchirée par le dilemme
« finir de mâcher la frite en cours » et « ne pas foutre un vent
à mon amoureux qui manifeste explicitement son désir de m’embrasser », je
me devais de réagir judicieusement dans la seconde qui suivait. Je recrachai
ainsi tout le contenu de ma bouche, constitué de frites dont la digestion
venait de s’amorcer sous l’action des enzymes contenues dans la salive, à l’intérieur
de la bouche de mon amoureux.
La trophallaxie est un mode de transfert de nourriture
essentiellement utilisé chez les insectes hyménoptères. Franchir la barrière
des espèces ne doit pas nous effrayer –peut-être est-ce à ce prix que nous
survivrons aux prochains cataclysmes. Une fourmi, en effet, n’est pas obligée
d’avoir de religion. En revanche, elle est programmée génétiquement pour
s’inscrire toute sa vie à l’intérieur d’une hiérarchie qui n’a pas pour objet
l’accomplissement des désirs individuels. Si nous devenions fourmis, le
problème des élections régionales, législatives, présidentielles et que sais-je
disparaîtrait aussitôt, et nous aurions plus d’argent pour construire des
bibliothèques de qualité. C’est pourquoi la fourmi possède deux estomacs :
l’estomac classique et l’estomac social. Ce n’est pas une blague. La
trophallaxie consiste en une régurgitation de la nourriture prédigérée contenue
dans l’estomac social afin de nourrir d’autres insectes de la société. Soyons
précis : l’objectif n’est pas seulement de nourrir l’autre insecte
(pensons à ces mères de famille qui ensevelissent leur gamin de chocolats de
Noël alors que celui-ci frise déjà l’obésité) mais il permet également de
communiquer des informations sur la source de nourriture partagée. Vous pouvez
voir une illustration de ce phénomène en consultant l'image ci-dessous :
Je vous le confirme : les fourmis sont des bêtes
intelligentes. Leur technique astucieuse permit effectivement à mon amoureux et
à moi-même de communiquer au-delà des mots et par-dessus la cohue du lieu. Nous
en oubliâmes presque de vérifier l’ardeur réciproque de nos organes de
reproduction (moi par la dureté, lui par l’humidité). Se mettant à son tour à
pratiquer la trophallaxie, je reçus entre mes mandibules la bouillie prédigérée
de ses frites et je perçus, à travers les chaînes d’amidon décomposées, des
phéromones sexuelles qui ne feintaient pas, des anticorps m’indiquant son état
de santé (attention à la clope) et des bactéries témoignant de la bioflore de
son système digestif. Quelle différence entre la trophallaxie et un vulgaire
baiser ? La présence d’enzymes, messieurs-dames ! Ainsi ma digestion
fut-elle accélérée, améliorée, sublimée par un bain stomacal rempli d’enzymes
provenant de deux organismes différents et coopérant malgré tout pour le plus
grand bien de mon économie digestive. A-t-on jamais vu cela dans la société
humaine ? A l’intérieur de mon corps œuvrait un système de coopération
plus efficace que n’en connut jamais l’histoire humaine depuis ses premières
heures. Mon cerveau, informé de ces exploits inhabituels, enregistra le signe
génétique des enzymes nouvellement employés. Mon corps excréta une légère
couche de substance lipophile qui permit à mes phéromones de se fixer
durablement sur ma peau, décuplant les chances de parvenir jusqu’aux cellules olfactives
de mon amoureux. Ce fut ainsi que, de trophallaxie en épanchage phéromonique,
nous finîmes la soirée dans les toilettes bondées de ce PMU pour jeunes, sans
avoir pensé que nous trouverions là un bain de bactéries étrangères, de flaques
de gerbe non-trophallaxiques et de moignons de bras déchiquetés qui
interrompraient notre fulgurante symbiose digestive. Nique sa mère le principe
de réalité. Enterrons-nous dans une fourmilière, soumettons-nous au joug de la
Mère-pondeuse, et vivons heureux jusqu’à la fin de nos jours mon amour.
Eh vous l’aviez déjà posté cet article. On doit être à peu près de la même génération, car « Les Fourmis » étaient en librairie quand j’étais ado. Mais je ne l’ai jamais lu, je préférais Stephen King. Sinon, pour le reste, je ne vois pas trop ce que ça vient faire là, je ne sais pas si c’est l’endroit approprié pour en parler, il y a des sites pour les amateurs… Quand je viens ici, c’est pour lire de la critique littéraire !
RépondreSupprimerJe fournis les petits fours si ça me chante.
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