La route du temps de Philippe Guillemant
La théorie de ce livre est la suivante : nous pouvons modeler le futur à notre convenance par la force de nos intentions en vertu des lois de la
rétrocausalité. Rien de nouveau sous le soleil, ne serait-ce l'introduction de cet exotique terme de rétrocausalité. Ne vous y trompez pas : malgré ses grands airs, la
rétrocausalité n’est qu’une causalité fonctionnant en sens inverse. Pas de quoi casser trois pattes à un canard mais ça peut éblouir les amateurs de bons mots. La prochaine fois que vous effectuerez une marche arrière en voiture, essayez donc de parler de rétroconduite – mais ne pensez pas que vous réservoir d'essence se remplira par la même occasion.
Rétroconduite causale |
Guilleret, emmerdeur type ne comprenant pas qu’il pompe
l’air à ses amis, nous rapporte ingénument le souvenir d’une randonnée réalisée
avec Patrick. Plutôt que de regarder ses tennis et de compter le nombre de ses
pas, Guilleret profite de cette excursion pour baratiner le pauvre Patrick qui,
visiblement, « ne comprenait pas très bien mon histoire de vies
parallèles ». Tout être normalement composé, constatant qu’il emmerde son
congénère de route, aurait la politesse de changer de sujet de conversation ou
de goûter au silence des altitudes. Guilleret, quant à lui, persuadé de la
supériorité quantique de ses idées, en remet une couche. Mais « Patrick
résistait à tout ce que je lui racontai sur le temps ». Ne tenant pas compte de
cette farouche opposition pour interroger son système, Guilleret s’appuie sur
cette piteuse aventure pour nous convaincre au contraire de l’exactitude de sa
théorie : en effet, Guilleret appartient au cercle des galériens de la
fantaisie qui confondent exubérance et pertinence. Incapable de se tenir en
place et d’émettre simplement des variations sur les quelques vérités qui ont
été énoncées dès le début de notre humanité en attendant que vie se passe,
Guilleret prétend réinventer le sens de la vie et de l’univers. S’autodécernant
la palme du martyr de la science philosophique, ou de la philosophie
physico-scientifique, il prend la pose du théoricien maudit, incompris de ses
contemporains. Guilleret, tous crampons extirpés, atteint un sommet et se sent
pousser des ailes. Il regarde le paysage et, sans en goûter les beautés, ou
sans se désoler de sa banalité qui n’égale pas les perfections architecturales du
musée des Confluences, il ne peut s’empêcher de le comparer à un système
vectoriel dont l’homme pourrait modifier les repères pour faire advenir la vie
qui lui semble bonne.
Musée des Confluences: apprenez à concevoir géométriquement votre vie. |
Malheureusement, Guilleret n’est pas entouré uniquement
de bons amis qui, semblables à Patrick, ont l’honnêteté de lui montrer tout le
mal qu’ils pensent de sa foireuse théorie de management individuel. Guilleret
est également entouré d’une cohorte d’individus qui semblent avoir découvert
son ouvrage au détour d’une librairie ésotérique, entre deux sachets d’encens
mystique et de livres de coloriages de mandalas. Nous pouvons souvent lire
leurs commentaires sur les réseaux sociaux et nous les reconnaissons en cette
particularité qu’ils vantent l’intelligence des déductions de Guilleret
justement parce qu’ils ne les ont pas comprises. Ne se demandant pas s’il
serait possible d’essayer de les mieux comprendre ou de les démonter, ils
supposent que sa théorie de la rétrocausalité et les principes qui en découlent
doivent être vrais en raison même de leur incompréhensibilité. Dans un monde où
ne s’exerce plus la logique, ni même le simple bon sens, l’illogisme apparaît
comme une logique transcendante. C’est l’appel au coucouche panier de la
déraison résignée.
Passons désormais à l’énumération de quelques
contradictions parmi les plus patentes :
-
Il faut se détacher du mental pour mentaliser
une nouvelle conception du temps ;
-
Il faut se persuader de son désintéressement
pour rencontrer le succès : « Supposons maintenant qu’armés de confiance,
nous décidions de faire des rencontres intéressées car, avec un peu de chance,
nous pourrions tomber sur celle qui pourrait nous apporter l’élément clé. »
-
Il faut rejeter le paradigme scientifique pour
permettre à la spiritualité d’être considérée comme un objet d’étude
scientifique noble dont les effets pourront être quantifiés et mesurés ;
-
Il faut se réapproprier activement sa vie en
s’en remettant à la lecture des signes du destin et en confiant sa crédulité au
baratin philosophique d’un physicien.
-
Il faut sortir des sentiers battus de la pensée
afin de révéler tout notre potentiel tel que celui-ci est défini par les
critères de notre société : « la foi va vous permettre de prendre des
risques, comme par exemple monter une entreprise ».
Ces contradictions servent de support à une philosophie
qui ne s’interroge jamais sur ses fondements car elle les croit scientifiques.
En effet, parce qu’il était physicien de sa profession et que ses calculs
avaient leur validité dans le domaine d’efficacité qui est le leur, Guilleret
croit que l’extrapolation philosophique qu’il en extraie touche forcément à la
vérité. C’est dans l’assurance de l’objectivité dont il croit faire la
démonstration que Guilleret se montre aussi totalitaire que la société de
contrôle qu’il dénonce désormais – avec raison, d’ailleurs. Cependant, qu’il ne
voie pas le lien entre le système qu’il critique et celui qu’il impose comme
vérité dans le champ du développement personnel à tendance spirituelle n’est
pas sans nous interroger. D’une catégorie épistémique à l’autre, les
perspectives deviennent méconnaissables et si Guilleret s’insurge contre le
management technologique, il s’enthousiasme follement pour le management
spirituel qu’il espère voir déferler sur terre pour l’accomplissement d’une
rédemption immanente. Guilleret est possédé par le discours cybernétique qu’il
recrache à la sauce développement personnel sans voir la contradiction qui se
présente d’une discipline poussant l’objectivation à son comble à une autre
prétendant exacerber les libertés individuelles :
« Nous allons dévoiler dans ce livre les mécanismes
d’exercice inédits d’une liberté que nous avons de « programmer » notre avenir,
liberté qui exploite des capacités méconnues de notre cerveau, qu’il est
infiniment plus judicieux de comprendre par ce type de métaphores que par une
approche psycho-scientifique pré-établie. »
Le rêve des cybernéticiens, visant à accomplir une
objectivité permettant à la vie de se dérouler dans la plus pure neutralité des
opinions, des sentiments et des idées, ne pressentait pas la violence du retour
de son refoulé qui grondait sous une épaisse couche de bits. En effet, pour que
le programme se déroule sans dysfonctionnement, ses sujets doivent se soumettre
à un code. « A la recherche du droit chemin », nous dit Guilleret, combattons
« la peur de vivre ou le divertissement touristique », « la
recherche de la sécurité, la paresse et le conditionnement social ».
L’objectivité exige de ses sujets un comportement institué comme positif en
vertu de lois qui ne reposent que sur le caprice d’un ou de quelques hommes.
Les clés de l'échec rétrocausal |
En outre, Guilleret oublie de se poser quelques questions
cruciales. Quelle est la nature de ce « meilleur » futur que nous
pouvons espérer pour nos existences au-delà des simples gratifications
immédiates que peut apporter le plaisir, la reconnaissance narcissique ou le
confort ? Si chacun d’entre nous peut s’approprier une méthode lui
permettant d’obtenir ce qu’il souhaite de meilleur pour lui, quel sens
pourrons-nous donner à la vie collective et aux aspirations divergentes voire
antagonistes de chacun ? Et quand bien même ce super-pouvoir ne
reviendrait-il qu’à quelques-uns qui prétendraient apporter à l’humanité ce
qu’il est de meilleur pour elle, qui peut véritablement croire que ce qui
convient à quelques-uns convient à tous ?
Guilleret nous raconte qu’ayant raté son avion suite à
une série de « synchronicités » qui l’avait mis en retard, il évita
la mort puisque cet avion s’était finalement écrasé. Il interpréta l’événement
comme un signe que lui avait adressé le destin pour lui signifier qu’il avait
quelque chose d’important à accomplir dans le monde. Que pouvons-nous déduire
alors du destin de ceux qui se trouvèrent dans cet avion ? Sans doute leur
existence ne méritait-elle pas d’être conservée puisque le futur avait jugé
adéquat qu’ils périssent là. Le futur semble penser, comme notre époque
technicienne, qu’une vie improductive ne mérite pas d’être sauvée.
Engin de sélection des plus hauts potentiels rétrocausaux |
Bienvenue dans le monde du développement personnel dont la misère spirituelle n’égale ni la prétention ni le bavardage.
Merci pour cet article. Ce n'est pas la première fois que vous abordez le sujet de la rétrocausalité. Il est très difficile de s'affranchir d'une formation scientifique poussée. Je le vois sur le net, une fois que le paradigme scientifique est incrusté dans un esprit, on analyse tout selon cette grille de lecture, ce qui conduit à un appauvrissement terrible du rapport à l'existence. En prétendant trouver la vérité, ils s'enfoncent dans une aliénation encore plus mécanique. C'est ce que je retiens de votre critique en tout cas.
RépondreSupprimerEn effet, j'avais déjà évoqué la rétrocausalité à travers un ouvrage de Romuald Leterrier qui connaît justement bien Philippe Guillemant. Celui-ci est d'ailleurs le préfacier de "Se souvenir du futur". C'est un petit monde.
SupprimerCes idées témoignent d'une forme de possession par la pensée scientifique. Elles confirmeraient presque également le propos de Guénon lorsqu'il disait que l'ère du matérialisme disparaîtrait progressivement au profit de l'ère de la dissolution, le dogme scientifique se constituant en un douteux alliage aux relents d'occultisme. Ou quand la science, dogme qui a oublié ses racines, s'en fantasme de nouvelles...
La rétrocausalité est une violation causale... c'est très compatible avec l'air du temps de marcher à reculons pour ne pas affronter l'avenir et l'erreur de ses choix passés.
SupprimerDes malades mentaux.
Ah ben je suis content ! Moi qui me faisais traiter sur Youtube de rabat-joie à l'esprit étriqué parce que j'avouais ne pas comprendre grand-chose au charabia de M.Guillemant, je vous remercie ! Je remonte dans ma propre estime grâce à vous.
RépondreSupprimerJ'ai bien envie de copier-coller votre critique et de la balancer sous unes de ses interviews pour faire le malin, tiens ! Et sans citer la source pour avoir l'air plus intelligent que je ne le suis en plus !
Mais pourquoi s'infliger de telles lectures, c'est ce qui me dépasse.
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