Se souvenir du futur de Romuald Leterrier et Jocelin Morisson

 


Romuald Leterrier propose une méthode pour nous permettre de devenir maîtres de notre destinée. Cette liberté se conquerra paradoxalement par la lecture et l’interprétation de signes arbitraires. Elle se supportera également de l’entier consentement aux théories loufoques de Philippe Guillemant sur le temps, avec qui Romuald Leterrier ne se cache pas de collaborer. Ces théories sont consultables dans « La route du temps » et elles sont audibles dans un nombre mirobolant de vidéos youtube.

 

Philippe Guillemant est assurément très calé en sciences physiques et en mathématiques. Malheureusement, il déraille dès lors qu’il s’essaie à donner des interprétations métaphysiques de ses calculs. Tentant d’étouffer l’erreur catégorielle, il rappelle que ses calculs ont été publiés dans de prestigieuses revues scientifiques – comme si de cette reconnaissance, toutes ses divagations pseudo-philosophiques en devenaient automatiquement valides. Tout logicien qu’il soit (si tant est que la science ait encore un quelconque lien avec la logique), Philippe Guillemant ne comprend pas qu’il ne suffit pas d’être physicien pour se gausser de théories métaphysiques. Cela est d’autant plus clair que Philippe Guillemant ne se rattache à aucune tradition religieuse, préférant perdre son temps à nourrir les spiritualités ontologiquement floues du New Age, celles-ci se reconnaissent à leur passion pour la réussite de l’individu en ce monde.

Théorie de la double causalité pour réussir dans la vie


Mais venons-en à ces fameuses théories sur le temps. Elles s’établissent sur le postulat d’une double causalité : à la causalité passé-présent, il conviendrait d’ajouter la causalité futur-présent pour mieux comprendre tous les petits mystères de notre existence (pourquoi ce nuage en forme de poire ? pourquoi une pub sur les serviettes hygiéniques alors que je viens d’avoir mes règles ? etc.) Ainsi, les signes du futur seraient déjà décelables dans notre présent pour peu que nous disposions des techniques mantiques appropriées, et nous pourrions en tirer profit pour prendre des décisions. Il serait dommage de choisir le mauvais partenaire ou de faire un choix de carrière qui nous barrera toute possibilité d’évolution. La théorie de la double causalité sert donc essentiellement à pourvoir aux besoins de l’homme moderne, préoccupé par la réussite de ses affaires professionnelles et personnelles, toujours le cul entre deux chaises, persuadé que sa vie dépend vraiment de lui-même. Plutôt se laisser convertir à une vision paranoïaque de la réalité plutôt que de faire le mauvais choix.

 

La théorie de la double causalité ne s’arrête cependant pas à ce simple usage médiumnique, qui n’est de toute façon d’aucune utilité, comme le mythe d’Œdipe nous le rappelle : quand bien même nous connaîtrions notre destin, nous continuerions de l’accomplir à notre insu, ou en dépit des défenses que nous lui opposerions. Mais Philippe Guillemant, moderne averti des préoccupations de ses contemporains, n’ignore pas qu’il serait insupportable à l’homme contemporain de ne pouvoir se montrer proactif dans toutes les parcelles (en miettes) de son existence. Aussi nous assure-t-il que, quand bien même le futur serait déjà accompli, nous pourrions malgré tout l’infléchir dans une direction qui nous semblerait un peu plus convenable que ce qui est déjà prévu. Connaître son futur, certes, mais pour le modifier s’il nous déplaît. L’individu se croit mieux assuré que le destin de ses désirs. Aucun doute.

 

Bravo : vous avez transformé votre futur.

Mais revenons-en à Romuald Leterrier, qui prolonge les spéculations de Philippe Guillemant en proposant une méthode qui permettrait d’intercepter les signes du futur, puis de relooker ce futur s’il a la gueule de travers. Il emprunte à Carl Gustav Jung la notion de synchronicité mais il l’extrait du champ de la psychologie analytique pour en faire un instrument de mesure objectif de phénomènes essentiellement subjectifs. Ainsi, alors que la synchronicité chez Jung se reconnaît comme conjonction d’un événement et d’un état préconscient de disponibilité et d’attente, la synchronicité récupérée par Romuald Leterrier devient un message (une « information ») que le futur adresse à l’homme. Le succès de cette récupération provient de la grande popularité dont jouit Jung dans certains milieux New Age – succès qui est souvent proportionnel à la méconnaissance la plus totale de la lettre de ses écrits.

 

En omettant la dimension préconsciente (voire inconsciente) qui préside à la survenue de tout événement pouvant être qualifié de synchronicité, Romuald Leterrier construit une méthode permettant d’en faire survenir à volonté pour s’aider à prendre des décisions dans la vie quotidienne, celle-ci étant devenue, il est vrai, de plus en plus merdique à gérer. Comme toute méthode, elle se prévient de tout échec, c’est-à-dire qu’elle évite au joueur de se confronter à l’angoisse de la réponse nulle. Elle préconise donc de se fabriquer un petit jeu de cartes présentant des images dites « archétypiques » (en fait simplement typiques). Il suffira d’exprimer sa question, de se fixer une date limite pour l’apparition de l’image, et de tirer une carte. L’image qui apparaîtra devra être retrouvée dans la réalité avant la date butoir. Dans ce cas, la réponse à la question vaudra pour un « oui ». C’est le langage binaire des machines, auquel il est possible d’adjoindre un peu d’humanité par l’interprétation paranoïaque du contexte de surgissement de l’image. Pour nous prouver que la méthode fonctionne, Romuald Leterrier l’a lui-même expérimentée. Partant à l’aventure du monde, il a décidé d’attendre le surgissement des « images archétypiques » en consommant des daubes télévisuelles :

 

« Avec souvent beaucoup d’humour et de légèreté, les synchronicités ont utilisé le support de films ou de dessins animés. Le cinéma, en particulier, a été une sorte de voie royale d’accès, cela, à mon sens, de par sa nature de véhicule synesthésique de notre inconscient collectif. »

 

Le réservoir des images de notre ics collectif.

En contraste avec un monde urbain de plus en plus terne et soustrait à la richesse des formes naturelles, l’industrie du divertissement fournit en effet de nombreuses occasions de croiser tout et n’importe quoi en termes d’images. Le taux de réussite de la méthode s’effondrerait certainement si le pratiquant, après avoir posé sa question et tiré sa carte, s’isolait sans bouger dans une grotte jusqu’au surgissement du signe, tel un ermite des premiers siècles de notre ère. Voire : l’objet de sa demande lui apparaîtrait enfin superflu. Il serait enfin définitivement libéré.

 

Non content de proposer une application individuelle de sa méthode, Romuald Leterrier en étend la sphère d’utilisation au périmètre du collectif. Il imagine la constitution de groupes de rétrocausalité constitués de personnes éveillées (des « wokes » déconstruits, certainement) qui, par la puissance synergique de leurs pures intentions, pourraient orienter l’humanité dans la bonne direction. A quoi reconnaît-on qu’une direction est bonne ? Personne n’a réussi à se mettre d’accord. Tout bienfaiteur éthéré cache une graine de tyran qu’il souhaite ignorer : il lui faut alors user de procédés rhétoriques lui permettant de dissimuler son attrait pour le pouvoir. L’intérêt individuel est annihilé au profit de l’intérêt collectif. Les hommes, nous dit R.L., font corps dans une humanité essentialisée dont les aspirations peuvent se condenser « selon trois axes : le premier éta[n]t de donner à l’humanité un nouveau cadre de réalité pouvant être « contrôlé » par la conscience individuelle et collective. Le deuxième axe éta[n]t, quant à lui, de libérer l’humanité de ses maux, d’avoir un contrôle sur le destin, la santé, la longévité et surtout sur la mort en désirant l’immortalité, mais aussi un accès volontaire et réversible à l’au-delà. Le troisième et dernier axe éta[n]t de découvrir un trésor ! »

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Les problèmes existentiels sont vites résolus avec la disparition de l’individu. Et cependant, même au niveau du collectif, la volonté n’équivaut pas au désir, ni le désir à la volonté. Il n’existerait autrement pas d’abîme aussi insondable entre ce que nous disons vouloir pour nous-même et pour l’humanité, et ce vers quoi nous nous dirigeons réellement.

 

Enfin, Romuald Leterrier suggère d’utiliser les groupes de rétrocausalité pour des visées thérapeutiques afin de soutenir la guérison des malades. La prière se voit ainsi réinventée dans sa version nihiliste. Il est vrai que le pouvoir suggestif que génère la création de nouveaux termes peut avoir l’effet d’une révélation sur un psychisme déjà acquis à la cause rétrocausale, si j’ose dire.

 

En dépit ou en raison de ses nobles intentions, cet essai permet de vérifier une fois de plus que l’alliance de la psychologie aux théories du développement personnel et collectif, le tout saupoudré d’une poudre de perlimpinpin spirituelle, se conduisent dans l’ignorance des fins qu’elles poursuivent. Les groupes de rétrocausalité pourraient ainsi parfaitement trouver leur place au sein du Ministère de la Vérité. Sincèrement persuadés de poursuivre la vérité, ses moines laïcs prieraient sans vergogne pour l’élimination de tous les obscurantistes du siècle dernier. Mais qui parle vraiment derrière ce prétendu futur qui cherche à « nous » aider ? Voilà une question dont la réponse nous aiderait à éclaircir la démarche de ces explorateurs de choucroute cosmique.


Commentaires

  1. J'admire votre capacité à naviguer sans cesse dans les eaux troubles du New Age sans jamais mordre à l'hameçon. Mais vous avez raison, le réel est tellement m...dique que les gens sont prêts à tout pour avoir l'illusion de reprendre leur vie en main.

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    1. Les discours de notre temps sont un passionnant matériau d'études. Ces publications se revendiquant de l'œuvre jungienne, il me semblait assez difficile d'y échapper, ne serait-ce que pour évaluer la nature de l'héritage jungien - et m'interroger en retour sur les hameçons, présents dans les textes de Jung, qui ont permis une telle récupération. Merci pour votre constance.

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  2. Évidemment, on aurait dû les prendre plus au sérieux. Pas tellement ironiser et changer de sujet quand ils revenaient avec insistance nous transmettre le crédo de la secte . Avec les moindres notions de méthodologie, on se rend vite compte qu’ils risquaient pas, ces philanthropes, d’en rester ad æternam à l’incitatif… Albi, vous voyez où c’est ?
    Et voilà, leur jour est venu. Le prétexte en acier trempé, dans une civilisation à la Oswald Spengler qui reprend du Xanax à chaque fois qu’on prononce le mot « mort ». Sauver des vies ! Les sauver de quoi ? Et en vue de quoi ? – Qu’importe ! Ou cette étrange idée de la part de la caste de Davos de supprimer une bonne partie de l humanité qui fait certainement partie de leur idéologie gaïste...
    ensuite, quant à savoir si ça facilite seulement l'omertà planant sur le résultat catastrophique des injections (pour l'instant, je pencherais plutôt dans cette direction), ou si ça a carrément justifié un empoisonnement (létal) prémédité... je manque d'éléments factuels...et peut importe ! Non ce qui est interessant c'est que, à part quelques auteurs prédictifs ( certains mentionnés sur ce blog ) et parce qu’on applique les consignes, toute cette humanité occidentalisée n’a pas été capable d’identifier le germe létal – et non, là, je parle pas, surtout pas, absolument pas, du fameux Covid-19…mais d'une étrange forme de psychologie du sordide que l'on retrouve dans les récits de nos prophètes post-modernes et gourous comme The Economist , Harvard Business Review ou leur avatar à la française, Les Echos . La question est : " Bon, va t' on se laisser plomber par cette bande de camés encore longtemps ? " Ou vite donnons-les leur dose !

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  3. Du coup je m'interroge : est-ce que Johnny Depp a construit lui-même une synchronicité rétro-causale lorsque Amber a fait caca dans le lit conjugal, en lui offrant tous les matins un bol de Trésor plein de pesticides et de fibres ?

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