Féminismes et cinéma, tome 2 / La Poudre / Lauren Bastide et plein d'autres
Présentation
formelle : le présent ouvrage consiste en un recueil de transcriptions
d’entretiens que Lauren Bastide a menés au cours des cinq dernières années
auprès d’actrices et/ou réalisatrices françaises caractérisées par leur
implication dans le champ du féminisme ou de la transgression des genres ou du nanti-racisme
– toutes préoccupations qui me laissent sur le carreau. Ces entretiens se
concentrent essentiellement sur le parcours personnel et professionnel des
invitées, ces thèmes permettant parfois d’ouvrir à des considérations plus « sociales »
ou « politiques ». Quelques questions reviennent
systématiquement : êtes-vous devenue femme ou l’êtes-vous de
naissance ? comment vous parlait-on lorsque vous étiez enfant ?
comment vous entendez-vous avec votre utérus ? est-ce que vous avez accès
à votre chambre à vous ? Si certaines de ces questions suscitent d’abord le
hoquet, la régularité de leur retour permet finalement de les considérer sans
émotion. Ce constat nous rappelle la nécessité de disséquer les discours dès
lors qu’ils commencent à se montrer un peu trop envahissants – ils s’intègrent
alors à la vitesse de la lumière. Ainsi en va-t-il du féminisme et du
nanti-racisme.
Un utérus heureux est un utérus lumineux.
Ces deux champs
se présentent tout d’abord comme des champs de bataille. Nous riions de Micron
et de son slogan publicitaire de mars 2020 « nous sommes en guerre »
sans nous rendre bien compte qu’il n’était qu’à peine plus ridicule que les
propos de ces individus qui, mis sur le devant de la scène pour s’exprimer, se
lamentent de l’ostracisme dont ils croient être les victimes en raison de leur
sexe ou de leur race. Lauren Bastide espère que ses entretiens permettront de
« dénoncer le sexisme de l’industrie » bien qu’il semble « en
même temps » opportun de maintenir une « séduction militante ».
Elle salue son invitée Katell Quillévéré pour son combat « jusqu’à la fin
de [sa] vie pour que le cinéma existe ! » Etonnant en effet que des
individus aient envie de préserver leur gagne-pain. Certaines invitées
revendiquent pendant ce temps des luttes contre des ennemis qui font
l’unanimité, se prenant le luxe de la posture militante sans les inconvénients
de véritables périls à surmonter. « Je me battrai pour que toutes les
femmes puissent en porter si elles en ont envie ! », déclare Océan en
parlant du droit à l’enfant, lui qui elle-même ne sait plus très bien s’il a
encore un utérus, ou si elle n’en a plus. Lauren Bastide rappelle à Julie Gayet
son « engagement contre l’endométriose », violence naturelle faite au
corps des femmes, à l’instar du grand complot de la nature qui, en
collaboration avec les hétérosexuels, semble vouloir empêcher les homosexuels
de procréer. Certaines invitées témoignent d’une brusque prise de conscience de
leur vide existentiel en cette sphère de l’activisme socio-politique. Hélène
Noguerra en témoignera au sujet du burkini : « D’un seul coup, un
matin, je me réveille et je me dis : « Mais il n’y a pas de
débat ! » » Inès Rau aspire quant à elle (lui ?) à faire de
ses hypothétiques enfants de « petits soldats de l’écologie ». Ce
vaste champ de la quenelle doit évidemment se concrétiser dans le domaine
judiciaire. Ovidie regrette : « au niveau des lois, ça n’avance pas
beaucoup ».
Petit soldat de l'écologie |
Concluons provisoirement
ce bref tour d’horizon par une remarque de Philippe Muray, qu’il est toujours
éminemment bon de convoquer à tout propos :
« Délirant
de sa propre importance, mais ne parvenant plus à accéder au moindre plaisir
individuel de la vie d'autrefois, Homo festivus s'enrage et multiplie les
officines de chantage qu'il appelle groupes de pression. Ceux-ci n'ont d'autre
raison d'être que de demander des lois et des persécutions. »
Dénonçant les
stéréotypes masculins qui transforment le cinéma en une vaste entreprise de
propagande machiste, certaines invitées (pas toutes, nous le soulignons) se
proposent de faire l’inverse : transformer le cinéma en un outil de
propagande féministe. Prendre une catégorie et la renverser. La vision de la
femme, dans cette perspective, correspond à celle d’un homme qui aurait des
nibards. Le modèle devient ainsi celui des « femmes inspirantes »,
des « femmes puissantes », des « combattantes », des
« guerrières », des « warriors ». Nous nous étonnerons de
la dénonciation parfois virulente des comportements et attitudes stéréotypés
dans lesquels ces femmes disent avoir été enfermées à cause du
« patriarcat », mais nous retrouverons ces mêmes dénonciatrices nous
proposer la démonstration de la pertinence de ces catégories stéréotypées. Il
n’y a pas de fumée sans feu. La femme accorde spontanément de l’importance à
son apparence. Lauren Bastide le confirme en déclarant à Rebecca
Zlotowski : « En réalité, vous m’impressionnez depuis longtemps. Je crois
que c’est ce rouge à lèvres rouge que vous portez tout le temps depuis que je
vous connais ». La femme est entièrement émotion, douceur et fluidité, et
elle témoigne de sa grandeur d’âme en remarquant à tout propos ses « poils
qui se dressent sur les bras ». La femme réalisatrice veut créer « un
cinéma de l’émotion et de la relation aux spectateurs ». Elle veut
cultiver l’organicité de sa production en valorisant la « body
positivity », en restant « fondamentalement, viscéralement
actrice », en tissant avec ses spectateurs une « relation tellement
forte émotionnellement » et en proposant des films « vraiment
spontané[s] et unique[s] ». Enfin, la femme est un peu tarée à cause de
ses organes gynécologiques qui la submergent. Elle consacre son temps libre à
des « trips de sorcière » qui consistent à « regarder son
utérus » et elle déclare à qui souhaite l’entendre qu’elle « cherche
une gynéco » parce que « c’est très compliqué d’avoir un
rendez-vous ».
Méthode inclusive pour prendre un rdv chez le gynéco
Les
revendications féministes des invitées décollent rarement du plancher des vaches.
Elles témoignent surtout d’une lutte pour la reconnaissance individuelle dans
la plus grande médiocrité de ses revendications. Si « le personnel, c’est
politique », ainsi que l’exprime le slogan des mouvements féministes
depuis les années 1970, le politique ne peut cependant pas se réduire au
personnel. C’est pourtant en cette direction que nous nous précipitons. Les
féministes réclament le droit à une vulgarité plus proche de la débauche libérale
que de la masculinité à laquelle elles croient faire pendant : « Pour
moi, être femme aujourd’hui, c’est au contraire m’approprier tout le champ des
possibles, y compris le territoire d’habitude réservé aux hommes, et que ce
soit normal. Être femme aujourd’hui, c’est pouvoir aussi écarter les jambes
dans le métro, et pas les serrer ou les croiser et fermer sa gueule, alors
qu’un mec à côté a les jambes hyper-écartées ». Les féministes continuent
de s’accrocher à l’idée de la libération sexuelle, thème dont nos cerveaux sont
rebattus depuis cinq décennies, preuve s’il en est que l’orgasme et la
jouissance féminine n’ont rien de spontané, comme le prouve d’ailleurs
l’existence de sites consacrés à ce thème macabre : « il y a aussi un site
que je vous recommande, oh my god yes, où l’on voit des femmes se masturber et
expliquer comment elles accèdent au plaisir. C’est souvent difficile, pour une
femme, de formuler comment elle jouit ». Les féministes considèrent ainsi
que « l’éjaculation féminine, la masturbation et la vulve sont des
outils politiques ». Elles n’hésitent pas à faire étalage de leur combat dans
des films pornos en proposant par exemple l’utilisation d’« un
préservatif féminin, un Fémidom ». Et de se réjouir de transgressions
qui font trembler l’idéologie comme une petite brise en pleine
campagne : « On parlait aussi de digues dentaires, ou de règles
! » Hélène Noguerra, après sa réflexion sur le burkini, en arrive quant à elle
à la conclusion que « c’est un acte féministe de dire qu’on est belle à
quarante ans ».
Les invitées de Lauren Bastide cumulent parfois à leur féminisme une option nanti-racisme. Vous l’aurez deviné, ce sont souvent des femmes noires qui, malgré leur plus complète réussite, déclarent que les discriminations dans les voies qui permettent d’accéder à la gloire sont insurmontables. Fortes de cette vision bornée et, en réalité, éminemment anti-politique, ces demoiselles souhaitent « encourager les jeunes filles, en particulier racisées, à faire des études scientifiques », confondant couleur de peau et extraction sociale, les deux n’étant pourtant jamais systématiquement corrélés. Alice Diop, à qui personne n’interdit de faire des films ou de prendre la parole, constate qu’ « il est très difficile de parler de la question du racisme » et « très difficile de montrer le racisme », et plus encore « quand vous êtes quelqu’un qui fait partie d’une minorité ». L’ennemi commun, dans cette lutte, semble être une « blanchité puissante » au moment même où, quel que soit l’endroit où se porte notre regard, les gens de couleur font farandole dans tous les médias. Ovidie lui-même (elle-même ?) le constate en s’en réjouissant : « Aux Etats-Unis ils ont compris ça. Ils font des séries avec que des noir.e.s, ils font des séries avec que des gays, et ça cartonne. »
Réussite occidentale pour les noirs
Enfin ! l’objectif marchand de ce gigantesque lavage de
cerveau est reconnu, mais comme inconsciemment, par ses principaux acteurs
économiques. « On va dire qu’il y a cinq millions de noir.e.s en France, dont
la moitié de femmes. Ça veut dire 2 millions et demi. S’il y a 10% des femmes
noires qui voient le film, ça fait 250 000 entrées en salle. Mon cœur de cible,
c’est ça. » La « minorité » devient le signifiant auquel désire
s’accrocher toute personne souhaitant que le social devienne son créditeur.
Certains
entretiens évitent heureusement de tomber dans ces grotesques écueils et
permettent simplement de découvrir des parcours intéressants. Il me plaisait toutefois,
au cours de cette brève note de lecture, d’interroger l’unanimité de toutes les
protagonistes de ce recueil au sujet du féminisme, du nanti-racisme et du
cinéma comme biens culturels inaliénables et luttes devant être perpétuées en
face d’invisibles ennemis. La raison d’être de ces « luttes » n’étant
jamais interrogée, il est évident que ces entretiens visent plutôt un objectif
publi-documentaire. Nous savons heureusement depuis l’invention d’Arte que la
publi-documentation peut parfois être divertissante, sinon systématiquement
enrichissante.
A bon entendeur,
salut.
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