La Société de l'indécence de Stuart Ewen




Oh non. Encore un bouquin qui décrit la décadence de notre société. Oh non. Encore un livre qui va nous faire croire qu'on aurait mieux fait de naître à une autre époque. S'il y a bien une chose dont on peut être certain, c'est qu'on aurait certes mieux fait de naître à une autre époque, mais de préférence avec l'électricité et l'eau courante.


La publicité, voilà un sujet qu'on connaît. C'est comme une seconde peau. Quand nous l'a-t-on greffée ? SE va fouiner dans un passé qu'il n'a pas connu et explorer le contexte social, intellectuel et économique pour nous en dire un peu plus. Rien de nouveau sous le soleil.


Voilà t'y pas qu'un jour, depuis que la société industrielle s'était manifestée, on se retrouva dans une drôle de situation : l'homme produisait plus de merdes qu'il n'en avait besoin pour vivre, et il se demandait s'il devait se carrer tout ça dans le cul ou essayer d'y refourguer d'une plus noble façon. C'est une histoire bien connue. le même schéma s'était déjà produit quelques millions d'années auparavant, quand il s'était retrouvé doté d'un coup d'un cerveau aux fonctionnalités trop avancées par rapport aux ambitions qu'il nourrissait encore. L'homme inventa antan les outils et le siècle dernier la publicité. On remarquera une certaine déperdition. « Dorénavant, il fallait habituer les hommes et les femmes à répondre aux exigences de l'appareil productif. »

Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de ce truc ?


Petit conseil drague au passage : pour pécho, faites croire à la personne en face de vous qu'elle possède quelque chose que vous désirez – autrement dit : faites-lui croire qu'elle vaut quelque chose pour vous. N'hésitez pas à en rajouter des couches. Plus ça sera faux, plus ça lui semblera fantastique. Ainsi l'ouvrier se laissa draguer par les émoluments civilisateurs de la publicité. De bête de somme au 19e siècle, on allait l'élever au rang de travailleur syndicalisé et de consommateur au 20e siècle. Tout d'un coup, les cadeaux pleuvent. Comme le dit bien Stuart Ewen, « réduire les horaires, c'était aussi offrir aux travailleurs la « chance » de participer à la consommation ». Mais si « la progression des sociétés industrielles fut en moyenne de 286% entre 1922 et 1929 », « le salarié de l'industrie manufacturière ne perçut qu'une augmentation moyenne de 14% durant la même période ». Bon, rien de nouveau sous le soleil.


N'empêche qu'il fallait faire quelque chose de ces 14% de revenu supplémentaire qui brûlaient les doigts. Voilà la poub qui fait son apparition pendant le temps libre nouvellement acquis des nouveaux consommateurs. L'humain allait désormais pouvoir s'enrichir d'une nouvelle « conscience de soi ». Oui, vous le savez, ça pue la merde. Si la transmission transgénérationnelle ne fonctionnait plus dans les classes laborieuses coupées de leurs racines, la publicité allait devenir le nouveau grand manitou. « Par le biais de la publicité, la consommation prit désormais une tonalité nettement culturelle. Dans la littérature administrative ou économique, on se mit à traiter ce type de comportement dans le jargon du nationalisme et de la démocratie ». L'insatisfaction promettait de devenir constante. Toujours rien de nouveau sous le soleil.

La poub



La poub implique la mise en place d'un gouvernement implicite : le gouvernement des financiers qui reçoivent les petits biftons de la poub. « Par ses achats, le peuple participait à la prospérité des géants de l'industrie, et ainsi élisait un gouvernement qui satisferait toujours ses moindres désirs. le processus démocratique était en train de détourner la politique des problèmes classiques pour la cristalliser dans l'organisation économique du capitalisme industriel ». Qui prend encore le jeu de la vie en société au sérieux ? « La réclame séparait les fondations du mécontentement de leur contexte industriel ; elle orientait la contestation vers des domaines où l'hégémonie de l'entreprise n'était pas menacée ; elle suscitait l'espoir d'une promotion sociale en fonction de l'adhésion donnée au pouvoir de l'entreprise capitaliste. »


Quand on parle de la poub, on ne parle pas souvent de la famille (ou des groupements de personnes qui s'en rapprochent le plus aujourd'hui : parent 1, parent 2, parent 3, etc.). Mais SE ne néglige pas le sujet. Avec le règne de la consommation, la famille aussi perd les pédales. Alors qu'elle formait auparavant une unité autonome au sein de laquelle chacun avait plus ou moins un rôle à jouer (ne serait-ce que le rôle du con de service), maintenant chacun devient une petite unité autosuffisante et la famille doit s'en remettre à ses liens affectifs pour survivre. Personne n'aura besoin que je vous fasse un petit dessin pour comprendre que ces liens, quand ils ne reposent sur rien d'autre que le plaisir partagé à jouer à FIFA ensemble, ne valent pas grand-chose. « Entre 1870 et 1925, les divorces avaient crû de 35% tous les dix ans, c'est-à-dire à un rythme sans précédent. On cherchait souvent l'explication de ce phénomène dans une détérioration du foyer liée à l'industrialisation. […] le sociologue William Ogburgn […] pensait que la cause la plus évidente était « la perte des fonctions économiques du ménage ». Il y avait en effet plus de divorces parmi les gens qui dépendaient étroitement du salariat et du système industriel, par opposition à ceux dont le mode de vie reposait encore sur l'autoconsommation agricole ou l'artisanat traditionnel. »

Dégénérés des temps modernes


Rien de nouveau sous le soleil ? Mais si : la schizophrénie. D'un côté on avive les sources du mécontentement et de l'autre on propose des remèdes – transportés sur des tapis de caisses différents bien sûr. La schizophrénie touche peut-être les sociétés avant d'inspirer les petits individus qui y sont pris au piège. Ou l'inverse, on s'en fout. « Les mécanismes du marché adoptent les utopies, l'idéal de liberté politique et sociale, le principe du bien-être matériel et de la réalisation des fantasmes ; le spectacle de la libération transparaît ainsi au sein de la domination et de la répression. »


Rien de nouveau sous le soleil. Dans le fond, c'est pas plus mal qu'un rouage extérieur prenne en charge le conflit qui se déroule immémorialement en chacun de nous depuis qu'on nous a foutus une conscience. D'ailleurs, c'est qui « ils » et c'est qui « nous » ? C'est marrant ça. Mieux vaut ne pas répondre à cette question.


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