Un monde de conscience de Peggy Dubro et David Lapierre




WESH. Est-ce que vous connaissez Flatland d’Erwin Abbott ? J’ai déjà dû parler de ce livre dans une autre note. Je parle tout le temps de ce livre alors que je n’y pense jamais. C’est chose étrange. Flatand est sorti en 1884, vous étiez peut-être encore trop jeunes pour en avoir entendu parler. Le personnage principal de cette histoire est un carré, ce qui n’est pas plus monotone que n’importe quel personnage de roman de rentrée littéraire. Un jour, ce carré rencontre un cercle qui lui fait une drôle d’impression. De ce cercle se dégage une émanation insolite. Il s’avère que ce cercle est une sphère (forme 3D) qui est venu instruire les formes géométriques planes (2D) pour leur faire comprendre que les choses inexpliquées du monde 2D s’expliquent facilement sur le plan de la 3D. Le cercle instruit le carré de la notion de relief et de profondeur dont découlent l’ombre et la lumière, entre autres merveilles. Vais-je devoir vous rappeler toute l’histoire alors que j’ai déjà tant de choses à écrire ? Non. Libre à vous de vous procurer ce plaisant petit conte pour futur Stephen Hawkins. Il était néanmoins, je le pense, nécessaire d’évoquer Flatland pour mieux comprendre où veulent en venir les deux hallucinés qui ont écrit Un monde de conscience. Ici, la 4D et tout ce qui s’ensuit serviront à expliquer notre monde 3D.

Ecrit à quatre mains, ce livre entrecroise le témoignage de Peggy Dubro et de David Lapierre. Comme la coutume l’exige, la meuf aborde le sujet du magnétisme holistique par le prisme de son expérience personnelle, tout en révélations mystiques, en communions amoureuses et en larmes divines, tandis que le mec nous décrit les mêmes phénomènes d’un point de vue scientifique. Ne vous inquiétez pas, ça ne sera pas totalement chiant pour autant : la meuf a fini de raconter son histoire en trois chapitres et le mec prend de larges libertés avec la science, si bien que ça ressemble plus à de la SF qu’à un truc sérieux. Adepte de la partouze, il mélange allègrement théorie quantique, théorie des cordes, théorie des champs morphiques, archétypes et autres curiosités du monde de l’esprit. Ce n’est pas mauvais, à vrai dire.

Autre chose avant de continuer plus loin. Ce livre est né de la volonté de faire connaître une nouvelle technique. Cette technique s’appelle l’EMF et utilise la TCU. Entre ceux qui néologisent à tout va et ceux qui chient des expressions de trois mètres de long qu’il faut ensuite réduire sous forme d’acronyme, on ne s’en sortira pas dans l’(in)intelligence humaine. C’est peut-être parce qu’on se dit que chaque truc qu’on a pensé mérite de recevoir un nom, histoire de bien marquer sa singularité alors qu’en fait, du point de vue des autres qui s’en foutent, ce n’est absolument pas la peine. La TCU est la Grille d’ajustement universelle individualisée. Elle est comparée à un transformateur électrique qui laisserait un courant de 220V traverser un système conçu pour 110V. Autrement dit, elle permettrait d’utiliser des énergies très subtiles provenant de réalités interdimensionnelles. Il est dit aussi qu’elle entre en résonance avec la grille cosmique afin que le processus de cocréation fonctionne à pleine puissance. Ça semble ultra simple. Il suffisait de le dire ou de l’écrire pour que ça existe. Bien sûr, n’importe qui ne peut pas faire ça. Vous, les trous du cul qui lisez ce livre, ne vous attendez pas à vous connecter à la grille d’ajustement universel rien que parce que vous le voulez, même si on nous dit que l’intention joue un grand rôle dans le phénomène de la résonance interdimensionnelle (ça, c’est pour vous forcer à continuer à lire). Il vous faudra tout d’abord passer entre les mains d’un expert praticien de l’EMF. L’EMF est un processus interdimensionnel qui amène l'harmonisation des configurations géométriques au sein de toutes les dimensions de notre nature humaine. CQFD.

Tout ceci n’est absolument pas nécessaire à intégrer. J’en parle seulement pour ceux qui aiment considérer le développement logique d’un propos. Je dois faire partie de ce genre de personnes dans le fond, même si ça ne m’a jamais rien apporté de bénéfique. Le problème de ces TCU et EMF, c’est qu’elles réduisent une idée (osons même dire une théorie) à la pauvreté de techniques censées apporter bien-être, croissance, spiritualité et amour à des gens qui ont certainement fort raison de penser qu’ils en manquent. Pourtant, les idées évoquées par David Lapierre étaient suffisamment stimulantes à elles seules pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en faire une pratique thérapeutique pour chômeurs longue durée. Je sais de quoi je parle, je voulais moi aussi être thérapeute après mes deux longues années de chômage. Finalement, après avoir repris un boulot bien sérieux et bien chiant, sans fantaisie ni plaisir occulte, je me suis rendue compte que je ne voulais plus prêcher le bonheur pour qui que ce soit, et je ne voulais même plus faire le malheur de pauvres hères non plus. J’ai aussi remarqué qu’à chaque fois que je croyais retrouver ma vocation de thérapeute s’amorçait une profonde dépression en mon être.

Alex Gross


Bref, selon David, l’électromagnétisme et la lumière seraient l’expression de phénomènes de dimensions supérieures. Les photons transmettraient des informations à l’ADN de nos cellules, ce qui permettrait de comprendre par exemple les phénomènes de champs morphiques. Comment la cellule germinale qui vient d’être fécondée sait-elle qu’elle doit construire un bébé humain ou un bébé crocodile ou un bébé mouche ? C’est bizarre pour nous qui avons l’habitude de faire des plans ou des listes de commission pour le moindre truc, de nous imaginer qu’une pauvre cellule souche est capable de fabriquer tout un organisme sans qu’elle n’ait de petit post-it sous la main. Alors on imagine que l’information lui est transmise depuis une dimension supérieure et comme c’est bizarre de parler sans faire de bruit, on imagine que l’information, peut-être parlée dans la dimension supérieure, se traduit par l’émission de photons dans notre dimension. Les photons seraient alors comme les postillons d’une conscience supérieure divinement intelligente.

Et puis il y a l’électromagnétisme qui forme peut-être ce que certains appellent l’aura d’un individu. Il viendrait aussi de dimensions supérieures. Il serait même, plus précisément, plus remarquablement, plus effroyablement, la conséquence directe de ce que d’autres connards font dans les dimensions supérieures. Mais attention… nous pourrions aussi leur envoyer des signaux… inverser le sens d’une tendance que nous ne faisions que subir dans l’ignorance la plus totale… oh, que c’est beau d’y croire ! Mais comment faire ? Les explications arrivent :

« un champ unifié de gravitation […] nous entoure et est à l'origine de l'expression de notre nature électromagnétique. Ce champ peut être accru dans sa charge. En augmentant la charge des états virtuels de notre être, nous augmentons aussi le potentiel de ce champ premier. Par conséquent, davantage d'électricité électromagnétique se met à notre disposition pour être employée dans le PRÉSENT. Inversement, des épanchements indésirables du champ personnel de la cinquième dimension donneraient l'effet contraire, c'est-à-dire moins d'énergie électromagnétique disponible dans le PRÉSENT ».

Ce n’est pas comme quand vous piratez le réseau wifi de votre voisin en squattant sur sa bande passante et en l’empêchant de regarder le dernier épisode de peaky blinders. Même si vous lui sauvez sa soirée en l’empêchant de regarder cette merde, vous pouvez être sûr qu’il va péter un câble quand sa connexion va interrompre son épisode toutes les trente secondes. Là non, en augmentant le potentiel du champ électromagnétique, on ne fait qu’accroître sa capacité à recevoir les informations provenant des dimensions supérieures. Personne ne serait de mauvaise humeur, au final. C’est bien dommage, les meilleures soirées sont celles où se bastonne. Une autre métaphore est soumise à votre jugement au cas où vous auriez pas compris :

« Imaginez un peu la vision qu'une forme de vie aquatique peut avoir à partir de sa dimension, qui est l'eau. Du fond des abysses océaniques, cette créature lève donc les yeux vers le haut et se met à observer les vagues et les rides à la surface de son monde appelé mer. Peut-être curieuse, notre créature se demande ce qui cause de tels mouvements à la surface des eaux de son monde. Si cette créature aquatique est un tant soit peu avisée, elle aura peut-être déjà compris que la cause des vagues ne provient pas de sa dimension, mais de celle qui se trouve au-dessus de celle-ci, appelée air. »

Des saumons d'élevage en piteux état.


L’analogie est à moitié foireuse mais c’est quand même bien essayé. Si en effet, les rides à la surface de la mer proviennent d’une dimension qu’ignore certainement le saumon d’élevage qui croupit au fond de son bassin, peut-on dire pour autant que la ride à la surface de l’eau a une influence aussi grande sur le saumon que l’électromagnétisme en aurait sur nous, d’après les propos de ces braves chercheurs qui associent l’électromagnétisme à l’accomplissement spirituel ou au contraire à la maladie ? Si comme moi ceci ne vous convainc pas, essayez donc cette autre métaphore légumière qui, à défaut de vous inspirer, vous donnera peut-être envie de préparer des nachos pour vos invités :

« Cette hiérarchie [de facteurs de causalité] équivaut à une superposition de couches, comme celles de l'oignon, à une superposition de dimensions qui s'emboîtent les unes dans les autres, chaque couche favorisant la manifestation d'éléments distincts d'action au sein même de la chaîne des facteurs de causalité. »

Des trash nachos (nachos poubelle)


Bref, on nous explique que le champ électromagnétique d’un individu peut être modifié par des techniques telles que le Qi Gong. Cet art taoïste vise l’activation de la circulation de l’énergie humaine par le truchement des méridiens, chakras, champs énergétiques. Finalement, la technique de l’EMF n’a rien inventé de nouveau. Alors pourquoi un autre nom ? Peut-être pour bien montrer que cette fois, ce sont les amerloques qui ont gagné. Peut-être pour bien montrer aussi que si ces teubés de taoïstes pratiquaient ça sans savoir pourquoi, les amerloques savent l’expliquer avec des théories scientifiques, mieux encore, ils sont capables d’évoquer la théorie des cordes et la théorie quantique toutes les trois lignes. Qui cherchera derrière ces démonstrations un fondement scientifique stable n’en trouvera guère ; qui n’en cherchera pas se trouvera sans doute gêné par le langage qui tient à distance le néophyte. Si quelqu’un réussit malgré tout à y trouver son compte, je suis heureuse pour lui.

Je m’arrête là aujourd’hui car c’est déjà trop long. Je ne sais toujours pas pourquoi je lis ce genre de bouquins, si ce n’est parce que je dois leur ressembler à mon corps défendant. Les textes religieux sont infiniment plus intéressants mais ô combien plus difficiles à lire pour les profanes que nous sommes tous devenus. Un ersatz de spiritualité nous est heureusement prodigué par ces livres de développement personnel scientifique, comme un souvenir de ce qui a pu faire vivre l’âme des hommes dans des siècles antiques, ce qui repose l’homme moderne de la nullité de son existence sans lui donner les moyens d’en sortir.

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